Aurelia Lassaque



Barcelone zone franche


Hier mon ami dramaturge, fils d’un grand compositeur, me parlait de la thèse qu’il vient d’achever sur l’arrière-grand père de sa femme, premier des romantiques. Aujourd’hui une autre amie me parle de son père avocat et sculpteur tout en laissant glisser sa main d’un geste presque dédaigneux sur la ligne qui sépare les bleus du ciel et de la mer. Ce qui me laisse obscurément croire que son aïeul a aussi façonné cet horizon. Pourquoi tous les catalans ont-ils un oncle ou une grand-mère peintre ou poète ?

Nous sommes allées au pied d’un hôtel de luxe. Un grand building en forme de navire. Nous n’avons pas osé entrer. Nous sommes restées sur le seuil, les yeux plissés, mettant nos cervicales en péril pour apercevoir son sommet éventrer les nuages. Ses milliers de vitres reflétaient obstinément la mer. J’avais oublié l’odeur de l’iode, j’ai retiré mon masque, autant mourir en bord de mer. A l’horizon, des dizaines de voiles étincelantes se précipitaient vers l’Ouest. Elle m’a parlé d’un homme au prénom basque. J’ai pensé au seul rhinocéros blanc que j’ai rencontré. C’était à quelques centaines de mètres de là, quelques mois auparavant. Un panneau indiquait qu’il était âgé et malade. Il portait un nom de cirque. Mon amie pensait toujours à son basque. Moi j’étais quelque part dans le désert en train de libérer des centaines d’animaux sauvages.

Elle m’avait dit plus tôt ce matin-là « toi tu es un peu sorcière ». Je n’ai pas nié. Lorsque nous avons regagné la plage, elle s’est figée devant un homme à la crinière grise qui repliait une voile, sa combinaison luisant de sel et d’eau. Elle a murmuré quelque chose. Elle s’est avancée. Elle a murmuré de nouveau puis de plus en plus fort jusqu’à ce que l’homme sursaute. C’était son basque, vingt ans après. Je reculé d’un pas, comme toujours incrédule devant un nouveau sortilège.