Sarah Fourage
Ses papiers d’identité ne sont jamais à jour. Elle vient de l’ouest, d’un pays minier où paraît-il, les gens « parlent pointu ». Depuis sa licence d’anglais LCE et sa formation à l’Ensatt en tant que comédienne, elle descend petit à petit au sud pour s’installer à Montpellier. Elle écrit depuis le CM1 essentiellement pour le théâtre. Depuis une vingtaine d’années ses pièces sont représentées par des compagnies professionnelles telles que Machine Théâtre,- compagnonnage auteur/compagnie en 2009 pour
Les Candidats- Délit de Façade-dont elle est autrice associée pendant 6 ans- la Fédération, le Groupe Décembre ; elle écrit également pour Les Grisettes, la troupe des Têtes de Bois, les Nuits partagées, la compagnie Concordance…Elle collabore avec différents artistes héraultais, au sein de la compagnie Rêves du 22 mars, de Joli Mai, en tant que dramaturge ou regard complice. Son parcours d’actrice lui a donné la chance de s’exercer auprès du metteur en scène et compositeur Jacques Rebotier, ce qui l’a sensibilisée à la poésie contemporaine et à l’entrelacs musique et langue. Ses textes
Sans la langue, Perdu pas loin, et
Vestiges (coécrit avec Eugène Durif et Lucie Depauw) sont édités respectivement chez Color Gang, Agapante et Compagnie, Jacques André Editeur, en ouvrages collectifs.
Affronter les ombres paraîtra au printemps aux éditions l’Espace d’un Instant.
Crash text (le dire du dire de la femme anciennement couenne.)
Les profanations de tombes me font moins d’effet que cette récente révélation :
La commercialisation et l’utilisation, pour des crash tests dans l’industrie automobile, des cadavres de celles et ceux qui ont généreusement donné leur dépouille à la science.
900 euros le corps entier ; 400 euros la partie.
L’idée d’un mort, ou d’une morte propulsés à grande vitesse contre un obstacle réveille ma propre chair anesthésiée. Je me visualise à la place du conducteur, fonçant comme une tarée, un profil verdâtre à mes côtés. Dans ce véhicule tombeau nous sommes toutes deux des femmes et nous n’avons pas peur du danger.
Notre corps ne nous appartenait plus. Depuis longtemps.
Nous a-t-il déjà appartenu ?
Quand on nous propose, adolescentes, une grenadine ou des cigarettes pour tailler des pipes, simplement parce que l’on porte la fameuse robe noire qu’il faut avoir !
Désormais, nous n’incriminons plus la robe ; nous demandons la marque des clopes ; les choses évoluent !
Quand un voisin se branle sur nous parce qu’il nous a aidé à porter un meuble, répétons-nous qu’il est bon de se sentir désirée. (ode à Catherine Deneuve.)
Quand un médecin que nous consultons pour une otite nous fait une palpation des seins intégrale, plutôt que de crier ce lassant lamento victimaire, réjouissons-nous de cette attention préventive, même si nous avons moins de 30 ans.
La dernière blague qui m’ait réellement amusée est l’histoire du sage-femme.
C’est l’histoire d’un sage-femme qui fourre son poing vif dans les entrailles d’une femme enceinte. Le temps qu’elle réalise, comprenne et admette qu’il s’agissait d’un viol, il est déjà condamné à 11 ans de prison ferme grâce au collectif des dizaines d’autres victimes !
La dernière copine qui m’ait fait rire est celle qui m’a demandé pourquoi j’avais choisi un homme et non une femme pour suivre ma grossesse.
On nous dit de libérer la parole ; encore faut-il des interlocuteurs. Les bavards sont pléthore et l’écoute, rare. Les écrans clignotent leurs signaux de honte. Les réseaux ne s’enflamment plus, ils implosent, criblés d’aveux déchirants, de traces de sang.
Au fond il en restera toujours une qui se tait.
Donc. Je me suis tue. J’ai dénigré le féminisme, me suis érigée contre les hystériques femelles qui abominaient le mâle dans des jappements de haine. OUI…
J’ai réquisitionné toutes mes forces viriles pour garder mes secrets et museler celles qui m’enjoignaient à dire. OUI ! C’est vrai. Mais mon corps, les filles, mon corps.
Quand l’AR320 de la German Air Wings a disparu des radars, mon corps a su. Mon corps avait toujours su, je ne l’écoutais pas.
Il a su que le pilote suicidaire avait précipité l’avion, ses passagers, lui-même dans les escarpements alpins.
Il a su que, dans les années 2000, un conducteur fou noua avec moi son destin funeste et manqua de de me tuer. Toute à la place de la morte que j’étais.
J’ai encore une trace du logo Renault de la boîte à gants entre les deux sourcils.
J’ai compris l’insistance du policier qui voulait que je porte plainte : les traces de pneus, toutes droites, dans le mur, à 150.
Je n’ai pas compris pourquoi les pompiers qui m’ont recueillie dans le coma m’ont demandé de produire un test du SIDA.
Mon corps s’est agrippé à ce fait divers du pilote d’avion dépressif pour faire sursauter mon cerveau.
Aujourd’hui, avec le scandale des dépouilles du temple de l’Anatomie française, je revis les scènes.
Mon corps, à disposition depuis sa puberté, est aujourd’hui à jamais coffré dans une voiture cercueil qui roule à vive allure vers le crash, encore et encore, encore et toujours, encore et encore,
Jusqu’à la fin de tout.